Les jeux psychologiques sont un concept de l’analyse transactionnelle, discipline fondée par Eric Berne dans les années 1960. Les jeux psychologiques sont en lien avec le concept plus global de soifs fondamentales.
Ainsi, Berne s’est interrogé sur nos besoins vitaux, et par analogie à la nutrition, il les a appelés « soifs » en montrant ainsi à quel point ils sont fondamentaux.
Les 3 soifs fondamentales sont les suivantes :
- La soif de stimulation,
- La soif de reconnaissance,
- La soif de structure.
Pour survivre, l’être humain a besoin de satisfaire ses soifs fondamentales, consciemment ou non. Toutes nos activités quotidiennes sont orientées vers la satisfaction de ces trois soifs. Connaître nos besoins nous permet de satisfaire nos soifs avec plus d’efficacité. C’est de cette façon que l’on peut se maintenir en bonne santé psychique et physique.
La théorie de Berne affirme que chaque être humain a un besoin vital de structure, et notamment de structurer son temps. Ce besoin permet notamment de contrer l’ennui.
Berne distingue six manières de structurer son temps, à savoir :
- Le retrait,
- Le rituel,
- Le passe-temps,
- Le jeu,
- L’activité,
- L’intimité.
Pour Eric Berne, un jeu correspond “au déroulement d’une série de transactions cachées, complémentaires, progressant vers un résultat bien défini, prévisible”.
C’est un échange entre deux ou plusieurs personnes dont l’objectif n’est pas la poursuite de la discussion de surface, mais à un niveau plus profond, caché. Ces messages sont alors “dits sans être dits”.
Un exemple de message caché pourrait-être
“Est ce que tu veux rentrer boire un dernier verre à la maison ?”
“Oui avec plaisir”
En fonction du contexte, du langage verbal, non verbal et paraverbal, alors le message peut vouloir dire tout autre chose.
Comment sait-on qu’un jeu est en train de se dérouler ?
Tout d’abord, le jeu est inconscient. De manière générale, nous ne nous rendons pas compte que nous sommes en train de jouer à un jeu. Dès lors que l’on s’en rend compte, le jeu peut cesser.
Les jeux se jouent toujours à 2, il ne sert donc à rien d’incriminer un partenaire de jeu puisque vous êtes également dans la partie.
Le jeu se caractérise également par la répétition. Un seul échange n’est pas suffisant pour dire qu’un jeu est en train de se produire. On peut jouer dix minutes comme toute une vie.
Enfin, si vous avez obtenu l’inverse de ce que vous vouliez consciemment, alors vous étiez probablement en train de jouer à un jeu. Inconsciemment, vous avez obtenu exactement ce que vous cherchiez…
Eric Berne a modélisé les jeux psychologiques avec une formule quasi mathématique.
Attrape nigaud + point faible –> réponse + déclic + moment de stupeur + bénéfice négatif.
Cette formule peut aussi être rédigée en abrégé : AG + PF –> R + D + MS + BN
Voici un exemple tiré du film Oui, mais
Attrape Nigaud (parfois appelé sous-entendu)
Monsieur Chanteau dit à son collègue “T’as d’la chance de pouvoir aller au cinéma, moi avec Adélaïde…”. Il expose un problème et fait semblant de chercher des solutions.
Point faible
Son collègue fait alors preuve d’empathie et de compréhension.
Réponse
Ce dernier propose alors des solutions à M. Chanteau, invalide à chaque fois en disant “Oui mais…”. Son collègue lui rétorque alors “eh bien si tu préfères ne pas aller au cinéma…”
Déclic
Monsieur Chanteau comprend que son collègue ne lui est d’aucune aide. Il s’énerve et lui dit “J’te l’ai dit, c’est pas si simple…”
Moment de stupeur (ou coup de théâtre)
Son collègue est stupéfait.
Bénéfice négatif (ou sentiment inefficace)
Chacun vient alors renforcer des croyances négatives sur soi, et sur son modèle du monde en général. On parle de bénéfice, car inconsciemment, cela permet aux protagonistes de confirmer leur scénario.
D’ailleurs, d’après Erskine et Berne, les jeux psychologiques ont six avantages :
- Biologique : c’est une garantie d’obtenir des stimulations pour satisfaire les besoins psychologiques et les soifs fondamentales
- Existentiel : le sujet cherche à confirmer son scénario de vie, et de maintenir sa position de vie.
- Psychologique externe : éviter l’intimité, la responsabilité, éviter de grandir.
- Psychologique interne : le sujet cherche à éviter des sentiments douloureux
- Social externe : le but ici est de structurer le temps en société.
- Social interne : structurer le temps et le vécu intra-psychique à travers les “fantasmes”, tel que défini dans certains ouvrages
On peut aussi observer les jeux psychologiques au travers du triangle de Karpman avec la victime, le bourreau et le sauveur. On retrouve alors des jeux spécifiques à chaque position dans ce triangle.
Pour le bourreau ou le persécuteur, on retrouve :
- Les défauts : le persécuteur critique une personne présente ou absente, notamment pour masquer sa faiblesse
- La psychiatrie
- Coincé : il s’agit ici d’empêcher l’autre de faire ce qu’il envisage en démontant toutes ses propositions. Il est donc coincé
- Schlemiel ou “le gaffeur” : Schlemiel signifie rusé en yiddish, le persécuteur fait des dégâts chez sa victime potentielle (Schlemalz) et réussit à se faire pardonner sa maladresse
- Le maître-chien : il donne un ordre sec, pour montrer sa toute-puissance.
- La scène : le but ici est de théâtraliser une situation, créer une “scène”, pour éviter d’aborder le sujet et de régler le problème
- Oui, mais : pour le persécuteur qui joue au “Oui, mais”, l’idée est de créer en compétition malsaine avec l’autre, pour montrer qu’il est le plus fort.
- Au viol : cela peut s’apparenter à attirer les autres en les flattant “vous qui êtes doué…” puis à les déstabiliser avec une question piège. Cela peut aussi être une forme de rétention d’information qui montre la toute-puissance du bourreau. On décrit aussi une forme de “au viol” où le persécuteur laisse imaginer à sa “victime” qu’il va accéder à sa demande, puis lui refuser au dernier moment (exemple : une jeune femme laisse croire à un homme qu’il pourra la séduire en l’emmenant chez lui et quand ils arrivent devant chez lui, elle lui dit qu’elle ne veut pas aller plus loin)
- Je vous tiens, salaud ou Maintenant je te tiens : le jeu consiste à relever une erreur chez celui ou celle qui a fait le reproche, pour prendre sa “revanche”.
- Chéri : la stratégie ici consiste à flatter à l’excès pour amener l’interlocuteur à faire quelque chose dont il n’a pas envie. Le joueur se sent ensuite “tout puissant” car capable de manipuler et d’obtenir ce qu’il désire.
- Battez-vous tous les deux : le but ici est de générer un conflit entre 2 personnes. “Diviser pour mieux régner”. Cela peut être le cas dans certains films où une femme demande à deux hommes de se battre pour elle, et elle sera “la récompense” du vainqueur.
- Le mien est meilleur que le vôtre : encore une fois, l’idée est de dévaloriser l’autre pour se valoriser soi par une compétition malsaine (et faussée)
- Regardez ce que vous m’avez fait faire : c’est une inversion de responsabilité. Le responsable cherche à culpabiliser son interlocuteur afin de masquer son erreur, sa faiblesse, son impuissance.
- Pourquoi faut-il toujours que vous… : il s’agit d’un reproche non dissimulé, généralisé qui dévalorise et tente de faire culpabiliser l’autre.
Pour la victime, on retrouve :
- Jambes de bois : la victime justifie son échec par une incapacité. “Avec ma jambe de bois, je ne peux pas…”. Elle masque ses difficultés, en rejetant la responsabilité sur les autres ou sur les conditions de travail. “Dans ces conditions, on ne pouvait pas faire mieux”. Elle cherche à se déculpabiliser et être “lavée” de toute responsabilité dans l’échec.
- Pourquoi faut-il que ça m’arrive toujours à moi ? Comme dirait Calimero “Oh là là c’est vraiment trop injuste, c’est toujours sur moi que ça tombe les complications”
- Regardez ce que vous m’avez fait faire… Il s’agit de rejeter sa responsabilité sur l’autre. Ce jeu psychologique peut vite pencher du côté de l’accusateur.
- Pauvre de moi : la victime recherche l’apitoiement et la compassion de l’interlocuteur.
- Marche ou crève : ici, la personne se plaint de “devoir” se surmener parce que ce n’est “pas possible autrement”. Elle fuit sa responsabilité.
- Faites quelque chose pour moi : le sujet implore l’aide de son interlocuteur, parfois en sous-entendant qu’il le lui doit car il l’a déjà aidé.
- Donnez-moi des coups : provoquer les autres en étant “gauche”, agressif, maladroit ou désagréable permet d’être rejeté ensuite.
- Gendarme et voleur : une stratégie peut être d’enfreindre la loi et jouer au “voleur” pour se faire prendre par un “gendarme”. L’idée est de ressentir de l’excitation et de la tristesse ensuite, puis de demander de l’aide ou bien le pardon.
- C’est affreux : la victime se plaint de tout, tout le temps. “C’est affreux cette météo ! et puis c’est affreux de rester chez soi mais c’est affreux de sortir par ce froid”. Tout est prétexte à la plainte. Le but est de chercher du réconfort, et attirer la sympathie.
- J’essaie de faire de mon mieux : l’idée est de présenter ses échecs ou ses tentatives comme inévitables. “J’ai fait de mon mieux, tu ne m’en veux pas j’espère ?..” Montrer que l’on a tout envisagé et essayé permet de ne pas se faire blâmer.
- Oui mais : la stratégie consiste à faire semblant de solliciter de l’aide puis de réfuter chacune des propositions apportées, dans le but de rester dans une posture de victimisation.
- Sans toi : la victime se plaint de ne pas pouvoir réussir à cause des autres. C’est toujours la “faute” de quelqu’un d’autre : “Sans toi, j’aurai pu faire carrière dans la l’aéronautique”.
- Pardonnez-moi : proche du Schlemiel, il s’agit de faire une erreur, une maladresse, puis de demander pardon pour solliciter de l’attention.
- Stupide : S’avouer incapable de faire ou de comprendre ce que l’on veut vous donner à faire. S’endormir dans la passivité, ne rien faire.
- Éreinté : Se plaindre d’être crevé, fatigué, débordé. Chercher la sympathie et le réconfort.
Pour le sauveur, on retrouve :
- Si ce n’était pas vous : le but du sauveur est de montrer à son interlocuteur qu’il lui faut une faveur, avec insistance souvent, et de lui exprimer (explicitement ou implicitement) qu’il attend une contre-partie. Par sa “charité”, il démontre sa supériorité.
- Tous solidaires : en invoquant la solidarité, le sauveur refuser d’accepter et prendre en compte les différences. Il sauve “les moutons noirs” ou le “vilain petit canard”. C’est une façon de montrer son héroïsme.
- J’ai la solution : le sauveur offre une solution toute faite sur un plateau d’argent. Il prouve sa supériorité, il est certain d’être la vérité incarnée, la science infuse.
- J’essaie seulement de vous aider : la personne propose des solutions à son interlocuteur, qui n’ont d’ailleurs probablement pas été sollicitées. Cela peut très vite basculer vers de l’accusateur ou de la victime, en montrant à quel point votre interlocuteur est ingrat.
- Je vous défendrai toujours : “quoiqu’il arrive, je serai toujours là pour toi”. Le sauveur peut alors mentir, mentir par omission ou nier les faits pour éviter qu’une personne soit sanctionnée d’une manière ou d’une autre. Le “protégé” devient redevable. Pour régler sa dette, il doit remercier et aimer son protecteur.
- Laissez-moi le faire à votre place : le sauveur montre sa supériorité en “soulageant” une victime qui a des difficultés à réaliser une tâche, ou qui la fait simplement moins bien que lui. C’est une stratégie infantilisante.
- Heureux de vous rendre service : rendre service permet par définition au sauveur d’exister. Le sauveur peut insister sur ce point pour montrer à quel point la personne qu’il vient d’aider lui est redevable.
- Au four et au moulin : la personne est “au four et au moulin”, elle a une stratégie d’omniprésence pour se rendre indispensable, ce qui lui procure de la joie. Au travail, c’est la personne qui va travailler le soir très tard, venir très tôt le matin, ne veut rien déléguer et peut même travailler durant les week-end ou les vacances. indispensable.
- Tribunal : cela consiste à jouer le rôle de l’avocat dès qu’une personne est “attaquée” (sans que personne n’ait rien demandé). Il ne manque que la cape pour avoir le parfait attirail du preux chevalier.
- Racontez-moi vos malheurs : le sauveur se met dans une posture “bienveillante”, d’écoute des malheurs de l’autre. Il lui envoie le message qu’il est “une oreille attentive”, et qu’il sera toujours là pour l’aider. C’est une stratégie que l’on peut qualifier “d’ouverture”, car par la suite, l’énoncé des problèmes de l’interlocuteur lui permet de jouer aux différents jeux psychologiques cités avant ou après, en proposant des solutions, en lui disant ce qu’il ferait à sa place etc.
- A votre place je… : proche du “j’ai la solution”, le sauveur ici dit ce qu’il ferait à la place de la personne qu’il considère comme “victime”. C’est la stratégie du donneur de conseils, qui sait ce qui est bon et juste pour l’autre.
- Ça ira, ça ira… La personne opte pour la “stratégie de l’autruche” : nier les difficultés, travestir la réalité, masquer les problèmes. Le but est de rester serein.
- Les colombes : Le colombe est le symbole de la paix, alors la stratégie de la colombe consiste à refuser les conflits. La personne se fait discrète lorsqu’un conflit pointe “le bout de son nez”, ou même en cas de léger désaccord. Mieux vaut vivre un semblant d’harmonie dans le retrait que de risquer de s’exposer à un conflit.
- Le pyromane pompier : cela correspond au passage du persécuteur qui brûle la maison, et qui peut ensuite devenir le sauveur en la sauvant du feu. Il montre sa toute-puissance en cachant ou divulguant des informations, en divisant (pour mieux régner) et en gérant la réconciliation.
Dans son ouvrage “Des jeux et des hommes”, Eric Berne décrit trois autres variables quantitatives utiles à considérer :
1. La souplesse. “Certains jeux […] ne sauraient se jouer convenablement qu’avec un seul genre de monnaie d’échange, alors que d’autres, tels que les jeux exhibitionnistes, sont plus souples et se jouent avec plusieurs monnaies d’échange.
2. La ténacité. Certaines personnes renoncent facilement à leurs jeux, d’autres sont plus tenaces.
3. L’intensité. Certaines personnes jouent de façon détendue, d’autres sont plus tendues, plus agressives. Les jeux ainsi joués sont dits respectivement faciles et durs.
Ces trois variables concourent à rendre les jeux doux ou violents.”
En analyse transactionnelle, il est fréquent de classifier les jeux selon leur degré d’intensité. On distingue ainsi 3 degrés d’intensité :
- Le 1er degré est accepté et acceptable en société, et le dommage subi est simple (il se situe au niveau des sentiments parasites ou racket.
- Le 2ème est souvent caché en société : il ne provoque pas de dommage irréversible mais il n’est pas forcément admis socialement (cela peut être un divorce, une démission, par exemple). Cela peut aussi être des jeux conjugaux.
- Le 3ème degré se termine mal : à l’hôpital, au tribunal ou à la morgue. La marque est indélébile (il se situe au niveau des injonctions du scénario).
Stratégiquement, en thérapie ou en coaching, il peut être pertinent d’accompagner le client à modifier les jeux auxquels il s’adonne. A ce moment, une réflexion systémique et écologique (si l’on utilise le langage de la programmation neuro-linguistique) est pertinente car ces jeux peuvent s’apparenter à la seule source de stimulation, de structure ou de reconnaissance du sujet.
On peut utiliser des stratégies pour travailler sur ces jeux telles que :
- révéler le jeu qui est en train de se jouer,
- proposer plusieurs solutions pour sortir du jeu (tout en restant vigilant à ne pas rentrer dans le jeu du sauveur),
- devenir complice du jeu de rôle pour amener ensuite un changement de rôle,
- accentuer le jeu en le poussant à la l’extrême, par la caricature et l’humour,
- inviter le joueur à structurer son temps d’une manière différente.
De manière globale, l’utilisation d’une posture adulte rend le dialogue factuel et objectif.
Inviter le client à prendre de la distance entre ses plaintes, ses critiques et les faits factuels observables peut-être pertinent, tout comme le fait de l’amener à identifier ses besoins non-satisfaits et ceux à satisfaire.